(retour actualité)

L’autoportrait de Sapho
Nouvel album original

Paris
23/10/2008 -
Après avoir longuement chanté son hommage à Léo Ferré, Sapho revient avec Universelle, nouvel album qui fait entendre toute la diversité et toute la profondeur de son bagage musical. Rencontre.

"J’ai fait un tour sur moi, mais comme un escalier." L’image est jolie et cadre bien avec les humeurs du nouvel album de Sapho, Universelle. "Les choses que j’ai déjà dites ou explorées sont là, mais je ne les redis pas. On les entend, simplement."


Universelle porte bien son titre. On y entend la Sapho marocaine, la Parisienne, la New-yorkaise, la folle de flamenco, l’aventurière en world music et en sono mondiale… Mais loin d’être un catalogue d’influences et de rencontres, c’est une sorte de réconciliation générale, de vaste cérémonie de retrouvailles de Sapho avec Sapho : "Je ramène mon passé rock que j’avais un peu laissé de côté. Après Oum Khalsoum [son spectacle El Atlal, en 1992-95], je me demandais comment revenir à quelque chose de contemporain. Je suis passée par l’électronique puis par un rejet absolu de la batterie. Avec ce disque, j’ai voulu revenir à des choses rock sans abandonner le côté métissé de tous les territoires de ma mémoire que je ne peux pas ne pas convoquer."

On entend donc ses Orients, son Amérique à elle, son Paris, son futur et ses racines avec une infinité de nuances et l’impression – rare jusqu’alors dans sa discographie – qu’elle n’est habitée par nulle contradiction. Pour ne pas la froisser, on ne dira pas qu’elle semble raisonnable dans Universelle, mais son disque est égal, sans mouvements erratiques, sans sautes d’humeur. Elle n’invoque pas la maturité, mais commence par s’effacer : "D’abord, il y avait l’unité du groupe qui a joué. Une section rythmique imparable, des musiciens pointus et puissants, un socle sur lequel toutes les folies peuvent se tisser."

Des collaborations de choix

Car Sapho avait composé l’essentiel du disque depuis quatre ans, rencontré divers musiciens, tenté des collaborations. Elle avait ainsi fait appel à Areski Belkacem, compagnon de Brigitte Fontaine, pour les arrangements de quelques chansons. Et de fil en aiguille, elle avait donné, au festival Voix de la Méditerranée de Lodève, un concert avec trois de ses musiciens habituels (les guitaristes Simon Bendahan et Vicente Almaraz, le violoniste Safouane Kennani), Areski et trois musiciens qu’il avait emmenés (le bassiste Bobby Jocky, le batteur Patrick Baudin, le clavier Dondieu Divin). "Les musiciens se sont amusés et respectés, mais il me manquait quelque chose d’un peu plus irrationnel, d’un peu plus barjo. Et ça a été Yan Péchin, que j’avais déjà vu avec Alain Bashung." Le guitariste va apporter des orages, des éclairs, des méditations, des vibrations électriques qui rappellent combien Sapho incarna une certaine violence rock, à l’époque de Janis, de Paris stupide, de Barbarie.

Mais, plus profondément encore, Universelle lui ressemble tant parce que Sapho "revendique ce disque dans la moindre note. Je l’ai suivi jusqu’au bout. Jusqu’à présent, pour chacun de mes disque, j’ai toujours eu face à moi des instances qui usaient de leur autorité et disaient : 'on fait comme ça'. Pour celui-ci, je n’ai eu nulle part à mettre mon mouchoir sur mes désirs. Je suis responsable de la plus petite note."

Elle convoque ainsi tous les mélanges et tous les croisements de sa – de ses – cultures : "Dans Fred As Tair, j’ai mis une viole de gambe et un violon arabe parce qu’autrement le piano allait sonner très joliment, certes, mais un peu cliché de piano-bar. J’ai demandé à chacun de travailler sur les accords en restant soi – un violon arabe et une viole de gambe baroque. Et j’aime ce travail de chef d’orchestre qui passionne aussi les musiciens : on invente au moment de la prise, comment une viole de gambe, un violon oriental et un piano jazz jouent ensemble."

Maître à bord

En ces temps de crise du disque, Sapho fait partie des artistes qui doivent compter sur eux-mêmes pour enregistrer. Mais elle doit aussi se passer de réalisateur quand celui qu’elle a pressenti jette l’éponge au bout de deux jours, effaré par l’ampleur et la singularité du matériau enregistré.

Finalement, elle coréalise Universelle avec Sébastien Miglianico, qui a été engagé à l’origine comme ingénieur du son. "J’ai repris le pouvoir", dit-elle en riant. Peut-être est-ce pour cela qu’après que l’on eut mis en scène la diversité de sa culture comme un événement exceptionnel, elle présente celle-ci comme un acquis naturel. Et c’est sans les exubérances de jadis (qui furent parfois exagérées) qu’elle présente une étonnante galerie de portraits et de paysages : une enfant du Maroc, des figures parisiennes, des Maghrébines en France, des amours occidentales, des éclats d’Amérique…

Sapho va très vite porter à la scène les chansons d’Universelle : les 18, 19 et 20 décembre au Café de la Danse à Paris, puis en tournée. Et ce retour discographique n’empêche pas qu’elle songe à son prochain chantier, l’achèvement d’un roman laissé en plan depuis des années.

Bertrand Dicale en ligne sur RFI Musique