A
54 ans, Sapho est une chanteuse éprouvée, mais une toute
nouvelle poétesse. Palabres sur la force de lécriture,
le thé et lexcès, avant son passage le 25 septembre
à LEchandole, à loccasion des 25 ans du théâtre.
Une
dizaine dalbums et trois romans à son actif, la fougueuse
Sapho a signé cette année son premier recueil de poèmes,
le très intense Livre des 14 semaines (Editions de la Différence).
La lecture quelle en donnera à loccasion des 25 ans
du Théâtre de LEchandole (lire notre supplément
du 11septembre), accompagnée du guitariste flamenco Vicente Almáraz,
était une raison de plus de rencontrer la poétesse de
Marrakech.
- Comment est né votre recueil de poèmes?
-
Jai commencé à faire des textes, un été,
à Temara, et je me suis dit quil fallait une architecture
à ces textes. Pour moi, dans lacte décrire
de la poésie il y a à la fois lidée de la
chose jetée, inventée, qui se risque, qui va jusquau
vertige, et quelque chose darchitectural, une contrainte de construction.
Je me suis donc demandé quelle était ma contrainte. Je
me suis dit que je voulais réintroduire du temps, parce que je
trouvais que le temps était absent, quon avait aboli le
temps dans la poésie contemporaine. Jai exprès mis
des jours parce que ça matérialise le temps dune
manière quon ne peut pas nier.
-
Que peut ramener la poésie qui aurait été perdu,
ou recouvert?
-
Elle ressuscite le sujet! Dabord sa singularité, par rapport
à ce que serait la langue empruntée, la langue de bois.
La poésie cest laventure de lécriture,
cest la délinquance de lécriture. Le poète
est quelquun qui sattaque à la langue et qui essaie
de la faire sienne, qui essaie de trouver sa porosité. Et malgré
tout, même sil sattaque à la langue, il faut
quelle parle! Il la fait parler autrement et il la réveille.
-
Dans votre recueil, vous dites que vous ne savez pas haïr avec
persévérance. Aimer, oui?
-
Malheureusement! Lamour est une seconde nature pour moi, un souci,
une activité que je trouve extrêmement fatigante. Mais
en même temps je comprends la chance de pouvoir aimer ou de se
savoir aimé(e). Quelquefois, cest très douloureux,
parce que vous rencontrez quelquun qui est trop loin, ou qui nest
pas pour vous. Vous rencontrez aussi cette posture froide, qui sérige
en système, et qui produit ce que nous connaissons
enfin
je veux dire labus de pouvoir, et toutes ces choses qui sont terribles,
haïssables, dangereuses et meurtrières. Cest peut-être
pour ça quune parole singulière, qui parle à
la première personne, celle du poète, est une parole de
résistance. Parce que cest une parole qui est tissée
à sa façon et qui résiste à la parole totalitaire.
-
Le contraste entre le monde du showbiz et les traditions dont vous avez
hérité est-il parfois déchirant?
-
Mais depuis le début, ma vie est déchirante (elle sesclaffe)!
Jai toujours été dans un état dexil.
Jai toujours changé de langue, jaime beaucoup cette
traversée, jaime beaucoup traduire parce que je crois que
cest une activité qui mest impartie.
-
De quelle manière?
-
Jai passé mon temps à faire une passerelle entre
des mondes qui ne sentendaient pas toujours. Parce que jai
en moi le souvenir très vif de juifs, de musulmans et de chrétiens
qui pouvaient tout à fait vivre ensemble, manger ensemble, dormir
ensemble.
-
Cette cohabitation vous semble-t-elle compromise?
-
On vit un moment de crise, mais ça ne veut rien dire. Le pire
est à craindre, mais le meilleur aussi. Cest un moment
affreux, denlisement. Il ny a pas de guerre qui aurait explosé,
ça bouchonne un peu partout, avec une idéologie dominante
mondiale qui est la chose américaine, le royaume de léconomie.
A son manager, qui fait son entrée: Dans un quart dheure
on part, alors arrête de tourner comme un corbeau, tu me donnes
le tournis!
-
Doù vient votre fascination pour le thé?
-
Cest un héritage du Maroc, où on en boit beaucoup.
Ma grand-mère était une grande buveuse de thé.
Je suis quelquun de très excessif et je sais que si je
bois une goutte dalcool, je boirai un tonneau. Mon corps étant
un instrument utile, jai une hygiène de vie insensée.
Je suis un ascète, parce que jai peur de mes excès!
Je ne touche à rien, dailleurs je nai pas besoin
de ça. Les gens se demandent toujours si jai bu quelque
chose, mais cest une adrénaline absolument naturelle.
MICHAËL RODRIGUEZ
LA
PRESSE NORD VAUDOIS (SUISSE)