Vivre au Maroc, par Sapho

J'ai vécu au Maroc durant les vingts premières années de ma vie. Les souvenirs que je garde de ce temps là sont d'abord ceux de mon enfance marocaine passée dans un beau et doux climat. Le Maroc est un pays de senteurs, de couleurs extraordinaires, de gentillesse extrême, et en même temps, d'une irrésistible sensualité.

Je me rappelle du plaisir que j'avais, enfant, à me baigner des heures entières en rêvassant. Je me rappelle du Maroc avec ses vastes paysages et son horizon qui s'étendait sans fin, lorsque

nous descendions des montagnes - un sentiment d'espace infini - lorsque nous nous retrouvions face à la plaine.

Quelques années plus tard, j'ai redécouvert ce sentiment d'harmonie dans mon adolescence et dans mes amitiés. Je suis juive. Mes amis étaient marocains ou français, arabes ou juifs. Nous nous rendions visite, nous célébrions les mêmes fêtes : nous formions une belle mosaïque, riche, vivante et tolérante.

J'ai toujours apprécié la tolérance marocaine, l'idée de respect des voisins. La tolérance signifie également pour les Marocains la coopération intellectuelle. J'ai découvert plus tard, en écrivant mon premier roman, que les Soufis et les Cabalistes partageaient le même alphabet et que leurs mystiques tendaient vers la recherche d'une vérité commune.

Lorsque je suis arrivée en France, j'ai emporté avec moi tous ces sentiments marocains, mais ils se sont embrouillés et enfouis dans mon inconscient. J'avais une culture française et le français était ma langue maternelle, j'étais attirée par la musique rock avec tout ce qu'elle implique de rébellion contre mon entourage. J'ai enregistré deux albums.

Puis un jour, quelque chose de surprenant m'arriva et décida de toute ma carrière. Je suis allée à un concert de musique arabe. Habitée par une nostalgie et une émotion intense, j'ai eu les larmes aux yeux et j'ai adoré cette musique qui revenait en moi - musique folklorique, musique andalouse, les gnaouas, les jajoukas...

Le mélange de sons qui avaient formé ma sensibilité musicale m'inondait à nouveau. J'ai alors compris que mon développement personnel tenait en ce point précis, en l'assimilation de ma culture arabe. A partir de ce moment là, j'ai eu une approche différente de mon travail qui remporta un succès immédiat. Aujourd'hui, toute ma musique évoque le Maroc.

Je ressens le besoin de retrouver mes racines. Ma famille ne se trouve plus à Marrakech, mais j'ai une maison là-bas qui me rappelle mon enfance et la fraîcheur intérieure des maisons marocaines. Pendant longtemps, j'étais considérée comme une touriste et je devais rappeler à chaque personne que je chantais en arabe pour être acceptée. Ce n'était pas facile et la victoire fut lente. Aujourd'hui, j'ai reconquis le Maroc.