Novembre 2001
BREVE RENCONTRE AVEC ... Sapho

La parole métisse
On connaît Sapho la chanteuse, poétesse et romancière qui milite pour la paix et le métissage car, dit-elle, «c’est la pureté qui engendre la barbarie». La voici à l’origine d’ « Un très proche Orient »*. Un manifeste audacieux d’une centaine de textes, parfaitement subjectifs, polyphoniques, écrits par des philosophes, des écrivains, des poètes. Qu’ils soient juifs, musulmans, chrétiens ou laïques, tous répondent à leur manière à la question, inquiète, de Sapho :

« Que pouvons-nous encore pour la paix au Moyen-ORIENT ? »

BREVE RENCONTRE AVEC ... Sapho

La parole métisse
On connaît Sapho la chanteuse, poétesse et romancière qui milite pour la paix et le métissage car, dit-elle, «c’est la pureté qui engendre la barbarie». La voici à l’origine d’ « Un très proche Orient »*. Un manifeste audacieux d’une centaine de textes, parfaitement subjectifs, polyphoniques, écrits par des philosophes, des écrivains, des poètes. Qu’ils soient juifs, musulmans, chrétiens ou laïques, tous répondent à leur manière à la question, inquiète, de Sapho :

« Que pouvons-nous encore pour la paix au Moyen-ORIENT ? »

Le Nouvel Observateur. – Comment est née l’idée de ce livre collectif ?

SAPHO. – L’an dernier, quand j’ai vu Ariel Sharon sur l’esplanades des Mosquées. Moi qui suis née juive à Marrakech, élevée par des femmes arabes, je me sens arabe aussi. Je n’ai pu rester inerte devant cette provocation qui fit s’effondrer tout espoir de paix. Je souffre de cette spirale fratricide entre musulmans et juifs. C’est une affaire de surdité réciproque. Il faut provoquer le dialogue entre cultures et religions, opposer à la violence, au discours belliqueux, la parole des modérés des deux côtés, cette majorité fragile qu’on entend si peu.

N.O. – Ce sont des voix personnelles, diverses, dissonantes, même

Sapho. – Il n’y a ni monstres ni anges d’aucun coté, il n’y a que des êtres humains qu’il faut écouter. Certes, nous sommes différents, mais on se ressemble tellement. Il est évident que promouvoir la paix est moins vendeur que le sang. Et c’est ça qui me tue…

N.O. – Mais dans ce conflit, l’enjeu est le sol, la terre.

 

SAPHO. – Si des enfants doivent mourir pour un lopin de terre, alors le prix de la vie est bien bas. Je ne crois pas à la terre. La seule patrie que je connaisse est la langue. Je n’en veux pas d’autre, même si le « politiquement correct » est fondé sur le territoire, la propriété nationale.

N.O. – Depuis la catastrophe du 11 septembre, votre rêve de paix est parti en fumée…

SAPHO. – Je suis profondément choquée par les attentats. Désormais le monde entier est menacé de terrorisme fondamentaliste. N’empêche, je poursuis mon objectif de paix en opposant la parole à la guerre. Un poème, par exemple, pourra ouvrir une brèche dans la langue totalitaire, verrouillée, celle de Sharon, par exemple.

N.O. – En attendant, les frappes américaines se poursuivent…

SAPHO. – Je n’approuve pas les bombardements. Evidemment il faut traquer, et juger, les terroristes mais ce sont toujours les pauvres innocents qui en font les frais. Je crains que les attaques ne servent pas à grand-chose, même pas à atteindre les tueurs.

N.O. – Vous avez chanté à Gaza, à Jérusalem, à Sarajevo. Pourriez-vous chanter en Afghanistan ?

SAPHO. – Pourquoi pas. L’art ignore les frontières, je chante partout pour des êtres humains. J’ai des projets à Haïfa, à Jérusalem-Est. J’espère chanter l’œuvre d’Oum Kalsoum en Jordanie et en Irak.

N.O. – Vous avez finalement mené à bien la publication d’ «Un très proche Orient». Ce travail vous a-t-il changée ?

SAPHO. – Oui, malheureusement. Même s’il a scellé mon espérance dans la paix, il m’a aussi désespérée car je n’adhère pas à tous les textes. Mais encore une fois l’important est de parler, d’entendre l’autre, en dépit de la complexité du sujet. Disons que livre m’a fait vaciller. Il a teinté mon optimisme de gravité.

Ruth Valentini

(*) Joëlle Losfed/Dada, peintures de Rachid Koraïchi, 220p., 99 F, 15 euros. En librairie le 7 novembre.