
Le
Nouvel Observateur. Comment est née lidée
de ce livre collectif ?
SAPHO.
Lan dernier, quand jai vu Ariel Sharon sur
lesplanades des Mosquées. Moi qui suis née
juive à Marrakech, élevée par des femmes
arabes, je me sens arabe aussi. Je nai pu rester inerte
devant cette provocation qui fit seffondrer tout espoir
de paix. Je souffre de cette spirale fratricide entre musulmans
et juifs. Cest une affaire de surdité réciproque.
Il faut provoquer le dialogue entre cultures et religions, opposer
à la violence, au discours belliqueux, la parole des
modérés des deux côtés, cette majorité
fragile quon entend si peu.
N.O.
Ce sont des voix personnelles, diverses, dissonantes,
même
Sapho.
Il ny a ni monstres ni anges daucun coté,
il ny a que des êtres humains quil faut écouter.
Certes, nous sommes différents, mais on se ressemble
tellement. Il est évident que promouvoir la paix est
moins vendeur que le sang. Et cest ça qui me tue
N.O.
Mais dans ce conflit, lenjeu est le sol, la terre.
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SAPHO.
Si des enfants doivent mourir pour un lopin de terre,
alors le prix de la vie est bien bas. Je ne crois pas à
la terre. La seule patrie que je connaisse est la langue. Je
nen veux pas dautre, même si le « politiquement
correct » est fondé sur le territoire, la propriété
nationale.
N.O.
Depuis la catastrophe du 11 septembre, votre rêve
de paix est parti en fumée
SAPHO.
Je suis profondément choquée par les attentats.
Désormais le monde entier est menacé de terrorisme
fondamentaliste. Nempêche, je poursuis mon objectif
de paix en opposant la parole à la guerre. Un poème,
par exemple, pourra ouvrir une brèche dans la langue
totalitaire, verrouillée, celle de Sharon, par exemple.
N.O.
En attendant, les frappes américaines se poursuivent
SAPHO.
Je napprouve pas les bombardements. Evidemment
il faut traquer, et juger, les terroristes mais ce sont toujours
les pauvres innocents qui en font les frais. Je crains que les
attaques ne servent pas à grand-chose, même pas
à atteindre les tueurs.
N.O.
Vous avez chanté à Gaza, à Jérusalem,
à Sarajevo. Pourriez-vous chanter en Afghanistan ?
SAPHO.
Pourquoi pas. Lart ignore les frontières,
je chante partout pour des êtres humains. Jai des
projets à Haïfa, à Jérusalem-Est.
Jespère chanter luvre dOum Kalsoum
en Jordanie et en Irak.
N.O.
Vous avez finalement mené à bien la publication
d «Un très proche Orient». Ce travail
vous a-t-il changée ?
SAPHO.
Oui, malheureusement. Même sil a scellé
mon espérance dans la paix, il ma aussi désespérée
car je nadhère pas à tous les textes. Mais
encore une fois limportant est de parler, dentendre
lautre, en dépit de la complexité du sujet.
Disons que livre ma fait vaciller. Il a teinté
mon optimisme de gravité.
Ruth
Valentini
(*)
Joëlle Losfed/Dada, peintures de Rachid Koraïchi,
220p., 99 F, 15 euros. En librairie le 7 novembre. |