Sapho,
l'oiseau des scènes, a fait un tabac au café littéraire
de l'Institut français de Fès. Sa voix et sa musique ont
porté aux nues plus d'un parmi ceux qui sont venus apprécier
le résultat de son séjour en résidence d'artistes
à l'IF de Fès.
Une voix aux tons âpres mêlée à des rythmes
enchanteurs a raisonné dans les quatre coins des lieux. Que faut-il
de plus pour créer une ambiance solennelle et béatifiée
comme celle qui a régné ce jour-là ? Rien n'a été
laissé au hasard. L'endroit était magnifique et se prêtait
merveilleusement à ce genre de soirée. Quant aux paroles,
elles étaient ciselées de manière à interpeller
le public sur l'actualité politique brûlante.
Chantant tantôt l'amour, tantôt les conflits qui ébranlent
le monde, tantôt la paix, les acclamations ne se sont à
aucun moment émoussées. Normal. La chanteuse est de cette
trempe d'artistes qui ne font pas les choses à moitié.
Si le salut est au bout des peines que provoquent les remises en question
de soi, il lui importe peu de choquer. Sapho s'est évertuée
à bannir de sa vie les frontières qui cantonnent l'être
dans un horizon fort restreint au risque de déplaire. Toute la
richesse vient de l'autre et de l'acceptation de la différence.
Cosmopolite, elle est devenue et le restera coûte que coûte.
Aujourd'hui, la chanteuse de confession juive n'a pas peur de crier
à la face du monde qu'elle est à la fois juive, marocaine,
française et arabe. Quoique sa vraie identité, celle qui
l'emporte sur toutes les autres, demeure la musique.
Native de Marrakech, Sapho, de son vrai nom Dona Esther Daniel, s'envole
vers d'autre cieux. Elle jette l'ancre en France où elle se laissa
imprégner des musiques occidentales, notamment le Rock. Elle
emprunta à la poétesse grecque le nom de Sapho et se voua
à la vie scénique et à l'achèvement d'albums.
Elle subit sa destinée de rockeuse jusqu'à ce que ses
origines la hantent. «C'était en 1980, j'embarquais pour
la Tunisie, et tout à coup je me suis mise à pleurer en
écoutant de la musique arabe». C'est là que le passé
surgit. Des airs à cent pour cent marocains firent surface. Sa
musique fut, de ce fait, marquée du seau des rythmes orientaux.
Elle vole de scène en scène, chante des versets savoureux
et séduit un large public ici et ailleurs. Elle s'ingénia
à verser dans son album «la route nue des hirondelles»
tous les sentiments nostalgiques qui nourrissent son cur et son
âme. Son enfance resurgit et l'amène à revoir certaines
notions.
Elle s'est investie corps et âme pour la grande communion du Rock
et des rythmes purement maghrébins aujourd'hui courante, mais
qu'elle fut une des premières à célébrer.
Frédéric Mitterrand disait d'elle «Mais nous vivons
des temps heurtés et confus où la musique est le dernier
rempart pour vivre à l'abri de la solitude et de l'abandon. Alors
c'est là qu'elle nous donne maintenant rendez-vous. Elle y monte
la garde comme une guerrière et pour ceux qui l'écoutent
à ses pieds, elle les soulève comme des rebelles, les
galvanise comme des soldats et les apaise comme des amants.
Si Sapho est ce qu'elle est aujourd'hui c'est en partie grâce
à sa personnalité forte, rebelle et «guerrière».
Elle l'est pour ce qu'elle a osé faire. Elle a, pour commencer,
sympathisé au nom de la justice avec les Palestiniens. Ce qui
lui a valu le courroux des siens. Elle a, pour finir, béni le
mariage de deux styles musicaux (rock et rythmes orientaux) jusque-là
demeurés incompatibles.
S. Alaoui