Sapho est
née à Marrakech, et y revient toujours en chansons, et
souvent en chair et en os, en suivant "la Route nue des hirondelles"
qui survolent la terrasse de sa maison dans la Médina, titre
de son dernier album. C'est là qu'elle l'a composé, là
aussi qu'elle nous invite, ou presque. A l'auditorium Saint-Germain-des-Prés,
elle accueille les spectateurs dans un petit souk à l'entrée,
où l'on peut acheter de l'artisanat, parmi les peintures de quelques
amis. Après le spectacle, on peut bavarder autour d'un thé
et de pâtisseries orientales. Sur scène, des gnawas de
Marrakech, formidables chanteurs, danseurs et joueurs de tambour, répondent
à un orchestre intimiste, trois guitares flamenca, classique
et électrique, percussions discrètes. Chaleur et harmonie,
douceur des arrangements : Sapho sait recevoir, et donner.
L'intimiste
de ce spectacle correspond-il à votre vraie nature ?
Sapho . J'avais envie de choses dépouillées, sans violons
ni claviers, juste des pincements de cordes. Un concert invite à
la tendresse, et je n'avais pas envie que le spectateur soit jeté
dehors tout de suite après. C'est la suite orientale du marché
Saint-Germain.
Vous bouclez la boucle ?
On ne prévoit jamais ce qu'on va faire. Le rock'n'roll de mes
débuts a été ma première urgence. J'appartiens
à une culture assez macho, où à la table familiale,
ce que dit la petite fille est moins important que ce que dit le petit
garçon. J'ai pris un micro pour parler à une table gigantesque
! Le rock, c'était pour montrer qu'une femme peut crier. Mais
je voulais innover, pas copier le modèle anglo-saxon. A l'époque,
en France, on était vite considéré comme ringard.
Heureusement, le raï est arrivé. Il a joué le même
rôle chez nous que les noirs américains dans le jazz ou
la soul, en rafraîchissant la musique locale.
Ces dernières années, on a redécouvert des grands
chanteurs juifs du Maghreb, comme Lili Boniche, Reinette l'Oranaise.
Et Enrico Macias aussi vient de consacrer un album à ses racines
arabo-andalouses. Pour vous qui avez grandi dans une famille juive de
Marrakech, étaient-ils des maîtres ?
Pour moi, c'est mon père qui a tout déclenché.
Il chantait merveilleusement en arabe, mais seulement pour les amis.
Il avait une telle justesse, une telle qualité d'improvisation
Je me disais que je ne chanterais jamais aussi bien que lui. Il est
mort trop jeune pour m'écouter. C'est terrible à dire,
mais peut-être n'aurais-je jamais pu chanter devant lui. Chanter,
c'est une manière de le saluer.
Propos
recueillis par Yves Jaeglé