2 NOVEMBRE 2006

Sapho ranime la flamme des vieux poètes

CONCERT - À la salle Montaigne, deux soirées intimistes et révoltées


Durant deux soirs, la scène de la salle Montaigne (CCF) s’est habillée de couleurs chaudes et pourpres de la Méditerranée. Rebelle et passionnée, Sapho y a réveillé la flamme des vieux poètes disparus et offert au public libanais, venu nombreux l’applaudir, un spectacle bigarré et magique.

Tout de noir vêtue et drapée dans une étole vaporeuse, telle une pythie, Sapho, mi-rockeuse mi-diva, va officier durant deux heures à la grande joie d’une audience avertie, parmi laquelle on reconnaissait l’ambassadeur de France, Bernard Émié, et son épouse ainsi que le ministre de la Culture, Tarek Mitri.
Dans un décor dépouillé, traversé par instants par des ombres chinoises, la prêtresse de la chanson a présenté, en compagnie de ses deux musiciens (Vicente Almaraz à la guitare flamenca et Aliss aux percussions), les plus belles œuvres du chanteur et poète Léo Ferré. Cette grande voyageuse qui a sillonné les routes, de Marrakech aux États-Unis, et résisté aux modes sans que le temps n’altère sa façon d’être, porte le verbe haut dans ce Liban qui panse encore ses blessures. Et les cinq lettres qui composent son nom, à la résonance d’une tragédie grecque, resteront pour toujours gravées dans la mémoire des Libanais.
D’abord le «S». Sublime et sensuelle, sa voix soutenue ou cassée siffle dans la nuit et se love dans une gestuelle théâtrale et une élégante superbe. Mais aussi « S » comme le sang des Arméniens et de tous les résistants auxquels elle rend hommage dans L’affiche rouge. Enfin «S» pour marquer la scène, ce lieu magique où elle dialogue en toute sobriété avec son public et transforme la douleur en bonheur.
«A» comme Aragon et tous les autres, de Baudelaire à Ferré en passant par Verlaine, qui lui prêtent leurs mots afin qu’elle les change en pépites. Tout comme également l’aliénation qu’elle ne connaîtra jamais puisque, lâchant la bride à ses mots et ses gestes, elle fustige les contraintes et brise les styles. «A» aussi comme ce sang arabe qui coule dans ses veines et qu’elle ne dénigrera jamais.
«P» comme la poésie qu’elle colore aux rythmes de la musique, mais également de la passion. Comme ces «palabras» qu’elle prononce avec un petit accent espagnol. Comme tous ces parfums qu’elle charrie avec elle de pays en pays, ces pas de flamenco qu’elle esquisse aux sons d’un tango dynamique pour ne plus devenir qu’une passeuse d’émotions.
«H» comme hispanique. Comme ces harmonies espagnoles qu’Almaraz égrène sur les cordes de sa guitare, ou comme tous ces hommages qu’elle rend à ceux qui résistent en acte ou dans le verbe.
Et pour boucler la boucle de son nom, cette lettre «O» tout en rondeur qui évoque l’Orient et sa magie, Oum Kalsoum dont elle interprétera, en arabe, un extrait de son œuvre aux sons du oud de Charbel Rouhana.
«O» également comme cette ovation debout du public qui s’est vu offrir de la part de la diva, l’espace d’un concert, un bouquet de passions et entraîner vers des rivages plus tranquilles.

Colette KHALAF