CONCERT
- À la salle Montaigne, deux soirées intimistes et révoltées
Durant deux soirs, la scène de la salle Montaigne (CCF) sest
habillée de couleurs chaudes et pourpres de la Méditerranée.
Rebelle et passionnée, Sapho y a réveillé la flamme
des vieux poètes disparus et offert au public libanais, venu
nombreux lapplaudir, un spectacle bigarré et magique.
Tout de
noir vêtue et drapée dans une étole vaporeuse, telle
une pythie, Sapho, mi-rockeuse mi-diva, va officier durant deux heures
à la grande joie dune audience avertie, parmi laquelle
on reconnaissait lambassadeur de France, Bernard Émié,
et son épouse ainsi que le ministre de la Culture, Tarek Mitri.
Dans un décor dépouillé, traversé par instants
par des ombres chinoises, la prêtresse de la chanson a présenté,
en compagnie de ses deux musiciens (Vicente Almaraz à la guitare
flamenca et Aliss aux percussions), les plus belles uvres du chanteur
et poète Léo Ferré. Cette grande voyageuse qui
a sillonné les routes, de Marrakech aux États-Unis, et
résisté aux modes sans que le temps naltère
sa façon dêtre, porte le verbe haut dans ce Liban
qui panse encore ses blessures. Et les cinq lettres qui composent son
nom, à la résonance dune tragédie grecque,
resteront pour toujours gravées dans la mémoire des Libanais.
Dabord le «S». Sublime et sensuelle, sa voix soutenue
ou cassée siffle dans la nuit et se love dans une gestuelle théâtrale
et une élégante superbe. Mais aussi « S »
comme le sang des Arméniens et de tous les résistants
auxquels elle rend hommage dans Laffiche rouge. Enfin «S»
pour marquer la scène, ce lieu magique où elle dialogue
en toute sobriété avec son public et transforme la douleur
en bonheur.
«A» comme Aragon et tous les autres, de Baudelaire à
Ferré en passant par Verlaine, qui lui prêtent leurs mots
afin quelle les change en pépites. Tout comme également
laliénation quelle ne connaîtra jamais puisque,
lâchant la bride à ses mots et ses gestes, elle fustige
les contraintes et brise les styles. «A» aussi comme ce
sang arabe qui coule dans ses veines et quelle ne dénigrera
jamais.
«P» comme la poésie quelle colore aux rythmes
de la musique, mais également de la passion. Comme ces «palabras»
quelle prononce avec un petit accent espagnol. Comme tous ces
parfums quelle charrie avec elle de pays en pays, ces pas de flamenco
quelle esquisse aux sons dun tango dynamique pour ne plus
devenir quune passeuse démotions.
«H» comme hispanique. Comme ces harmonies espagnoles quAlmaraz
égrène sur les cordes de sa guitare, ou comme tous ces
hommages quelle rend à ceux qui résistent en acte
ou dans le verbe.
Et pour boucler la boucle de son nom, cette lettre «O» tout
en rondeur qui évoque lOrient et sa magie, Oum Kalsoum
dont elle interprétera, en arabe, un extrait de son uvre
aux sons du oud de Charbel Rouhana.
«O» également comme cette ovation debout du public
qui sest vu offrir de la part de la diva, lespace dun
concert, un bouquet de passions et entraîner vers des rivages
plus tranquilles.
Colette
KHALAF