Incandescente,
Sapho ne laisse pas indifférent. Sa personnalité bien
sûr, sa musique évidemment. Son nouvel album, « Universelle
», déjà dans les bacs, est généreux,
comme elle. Mais il est aussi le plus abouti de son riche parcours.
Cet album auquel elle s’est attelée voilà quatre
ans (le premier qu’elle réalise) est à nouveau un
mélange de genres musicaux, comme elle les aime. Elle retourne
à ses débuts rock’n’roll, qu’elle associe
à d’autres sonorités, plus récentes, voire
nouvelles : musiques arabo-andalouses, arrangements argentins, blues
francophone. Elle a fait appel à Areski Belkacem, pour quatre
titres en particulier : Acre, Replay, Fatima, Souris-moi ; les deux
derniers titres étant par ailleurs chantés aussi en darija
(marocain). Les musiciens d’Areski sont présents, associés
à ceux de Sapho, illustrant là son éternel éclectisme
instrumental. C’est ainsi que pour Replay, au rythme particulièrement
enlevé et relevé, les guitares andalouses et rock se mêlent
et s’entremêlent, tandis que deux instruments traditionnels
mariant les origines franco-marocaines de Sapho (accordéon français
et viole de Gambe) s’accordent à merveille pour Souris-moi.
C’est aussi un album où se succèdent petites et
grandes histoires. Les siennes et celles des autres. Rencontres personnelles,
comme celle d’avec la petite Loulou sur cet air enfantin de Loup
y est-tu ?, ou Francky Goes to NY), à qui elle fait sa déclaration
d’amitié (elle insiste : ça existe !). Petit clin
d’œil à Fred Astaire pour cette berceuse, Fred As
Tair, ce Fred (qui est-il donc ?), dont la tendance serait de trop «
se taire » justement, chansons où seuls jouent le piano
et le violon, qu’accompagne la voix de porcelaine de Sapho pour
mieux l’inviter à lui dire de belles choses. Ou bien encore,
Mary Vivo, autre rencontre, autre lieu, qui lui inspirèrent ce
titre au rythme rock et blues. Plus graves sont les autres, à
l’instar de l’état des hommes et des femmes, comme
Fatima, « LA » femme marocaine, que chacun connaît,
à qui elle rend un hommage ô combien respectueux et respectable.
Ou, Gare guerre gare, composé dans un train (« la gare
») au lendemain d’une soirée passée avec d’autres
femmes (marocaines, algériennes et d’autres, car Sapho
est universelle), dont les youyous répondent à cette guerre
que leur fait l’homme (les hommes) « à l’œil
barré », « celui (ceux) qui fait (font) la guerre
avant qu’on la lui (leur) fasse »… La peur de l’autre.
Toujours et encore. Mais elle a aussi besoin de son Magicien pour mieux
l’aider dans ses réveils difficiles (au sens propre comme
au figuré…) et mieux faire face à ses cauchemars
(nightmares) que lui inspirent Ben Laden et Bush, « ces barbares
». Et elle l’appelle - l’implore - sur un rythme alternant
reggae, blues et guitare électrique. Car la tentation de devenir
acre, celle de « jeter l’ancre », ou bien même
de « se faire le chantre de la haine », n’est jamais
bien loin. D’autant que le monde est vaste. Il y a tant à
faire, tellement que l’envie de tout laisser tomber nous surprend,
et que l’on cherche, l’on tourne et l’on voyage pour
se poser quelque part, où l’on pourrait se sentir en sécurité,
quelque peu apaisé, un peu du moins, avec finalement à
chaque arrêt, cette sensation qu’on n’est jamais chez
soi au bout du compte jusqu’à ce que l’on trouve
« quelque part un endroit où il y a un ami ». Car
le monde est vaste aussi de belles rencontres, au-delà de la
différence, autre titre du disque. Et, cet ami (le nôtre
en l’occurrence) pourrait bien être ce dernier album de
Sapho, dans lequel elle nous « insuffle sa veine ». Et elle
le chante : Universelle, c’est « un totem pour qu’on
s’aime »…
Isabelle SIBOUT