16/03/2009




« Emblématique de la politique migratoire d’un pays et trop souvent révélatrice d’une forme de xénophobie institutionnelle, la situation des sans-papiers, à Genève comme ailleurs, demeure largement méconnue du grand public et des médias. »
Fort de cette conviction, le Festival du film et forum international sur les droits humains a organisé un colloque et une soirée de solidarité en faveur de ces travailleurs de l’ombre que sont les sans-papiers. Parmi les intervenants, la chanteuse Sapho, dont le parcours de vie (juive marocaine émigrée en France) et l’œuvre (métissage des cultures du Sud et du Nord de la Méditerranée) sonne comme un plaidoyer en faveur de ces migrants exclus. Interview.

Le Festival du film et forum international sur les droits humains a clos sa 7e édition par une soirée de solidarité avec les sans-papiers. L’une des participantes, la chanteuse Sapho, raconte à swissinfo les raisons de son engagement.



Frédéric Burnand

Pourquoi vous êtes-vous engagée en faveur des sans-papiers ?

Sapho : Les sans-papiers, c’est le résultat de la violence économique : une pauvreté insupportable et l’espoir fou d’un eldorado qu’ils croient trouver en Europe, une image fortement véhiculée par la télévision dans des pays sans perspective d’avenir.

De même, les touristes n’ont pas toujours conscience de l’impact des signes extérieurs de richesses qu’ils portent sur eux. Tout cela crée des tensions et produit des ferments de guerre.

En fermant les frontières, en refusant les migrations – un phénomène pourtant irrépressible qui a façonné notre monde depuis ses débuts – les pays européens augmentent cette violence et ces tensions.

Un sans-papier ne peut vivre et marcher librement dans la rue. Nos démocraties se comportent avec lui comme un Etat totalitaire. Face à leur situation, je ne peux m’empêcher de penser à la période nazie. On dit que la comparaison n’est pas possible. Certes, les deux situations ne sont pas identiques, mais on peut faire des comparaisons.

Quoi qu’il en soit, on ne peut pas réduire quelqu’un à ses papiers. C’est ce qu’il a vu, vécu, créé, qui fonde sa qualité d’homme. Raison pour laquelle, je dis non à la tribu et oui aux êtres humains.

Le sort des sans-papiers a-t-il un lien avec votre propre histoire ?

Sapho : Mon père a été un temps sans-papier, quand nous avons quitté le Maroc pour la France. Et souvent, on m’a considérée comme trop juive pour être marocaine, trop marocaine pour être française.

Dans la pratique, j’ai gardé le réflexe d’avoir toujours mon passeport sur moi et d’avoir la crainte d’être interpellée.

La migration est également au cœur de votre œuvre artistique.

Sapho : L’art est merveilleux, car le voyage y est toujours possible, tout comme la libre-circulation de la parole et de la musique. Je peux convoquer tous les territoires de ma mémoire et les présenter sur scène. La musique témoigne de cette capacité à vivre ensemble. Les rencontres y sont lumineuses, fertiles et gaies.

Que peut apporter l’expérience artistique du métissage au reste de la société ?

Sapho : Comme le montre la musique, il est possible de trouver un terrain d’entente avec l’autre, si bizarre soit-il. Et ce point de rencontre est un ravissement.

L’expression et la pratique artistique permettent aussi de montrer qu’il ne faut pas avoir peur de l’étranger, qu’il faut accepter l’autre, l’impur. La crainte qui nous habite peut alors se transformer en trésor. Il n’y a que comme ça qu’on est vivant. En restant entre soi, on sèche et on meurt.

Vous avez chanté à Gaza dans les années 90. Seriez-vous prête à le refaire ?

Sapho : Nous sommes dans un moment ou les extrêmes, des deux cotés, sont aux commandes. C’est une situation intenable et sans avenir. Si on me le demandait, je retournerai chanter à Gaza. Car le conflit israélo-palestinien irradie bien au-delà des populations directement concernées et suscite des identifications abusives à l’un ou l’autre camp. De par mon engagement artistique, j’essaye aussi de sortir de cette logique binaire.

Votre dernier disque est intitulé « Universelle ». C’est une réponse aux replis identitaires ?

Sapho : Au départ, c’était un pied de nez à la maison Universal qui ne voulait pas me signer. Mais ce titre résume bien ce que je cherche à dire à travers mes chansons, y compris musicalement.

Pour moi, le singulier abrite le pluriel. C’est la magie de l’art que de trouver la dimension où chacun se reconnaît. Et ce en assumant chacune de nos histoires particulières. Comme me le disait un ami libanais, il faut un peu trahir les siens pour aller vers l’autre.

En venant du Maroc, vous avez vécu un temps en Suisse. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Sapho : J’ai en effet passé une année dans un pensionnat à Lausanne. Et cette rencontre à l’adolescence avec le protestantisme a été pour moi un choc culturel énorme. Raison pour laquelle, je me suis ensuite précipitée à Paris (rires).

Cela dit, j’ai beaucoup apprécié la cohabitation en Suisse de plusieurs cultures et de plusieurs langues. Cette exposition à plusieurs langues y génère souplesse intellectuelle et ouverture, alors que ce pays pourrait être très fermé par sa position géographique, sa neutralité et son refus d’entrer dans l’Union européenne.

Je suis d’ailleurs frappée par l’ouverture et la finesse du public, lors de mes concerts en Suisse.

Frédéric Burnand/swissinfo