Mots à maux

Le nouveau spectacle de Sapho présenté dans le cadre du festival Strasbourg-Méditerranée, jeudi à la salle des fêtes de Schiltigheim, a réservé bien des surprises au public : les nouveaux textes de l'artiste, les tambours et les entrées en transe des Gnawas, la participation inattendue du luthiste marocain Azeddine Montassere.

Un mur rougeoyant qui évoque la ville rose de Marrakech. Un solo de guitare. Surgie de nul part, la voix de Sapho amorce une lente sévillanne avant que s'élève le chant d'un Gnawa, ces guérisseurs descendants d'esclaves soudanais qui chantent et dansent avant d'entrer en transe.
Le décor du nouveau spectacle de Sapho est planté sur un axe hispano-africain. Après sept représentations à Paris, c'est la première de "Sur la route nue des hirondelles" en province avant une tournée prévue en mars 2000. On est loin de la Sapho rockeuse à la voilette noire. L'ex petite fille de Marrakech a trouvé une nouvelle puissance dans l'inspiration arabo-andalouse.
Elle surprend, et elle le sait, en entamant son concert sur un rythme lent pour laisser au public le temps d'écouter ses textes, de "L'étrangère" à "Zou", écrite pour sa copine algérienne. Elle tombe son lourd manteau de velours grenat pour laisser apparaître une longue robe bustier. Sur scène comme sur son dernier album écrit à Marrakech où elle retourne vivre de longs mois par an depuis dix ans, elle est accompagnée de trois guitaristes et de deux percussionnistes : un détonant mixage de cultures.
Des Gnawas à Montassere. Pour évoquer la ruelle rouge de Marrakech, l'entrée en scène de ses trois amis Gnawas de la place Djemàa el Fna donne le ton définitif du spectacle. Du grand spectacle. Le public s'enflamme devant une Sapho survoltée et puissante et ces Gnawas bondissant aux rythmes simples mais envoûtants.
Elle descend dans la salle, entraîne le public dans ses vocalises, puis avec elle sur la scène pour danser avec les Gnawas. Le partage n'en reste pas là. Sapho a envie de se faire plaisir en apercevant dans la salle Azeddine Montassere, chef d'orchestre de la radio télévision marocaine et luthiste international en résidence à Strasbourg pour un mois : elle lui trouve un luth et l'invite à improviser. Un bonheur exceptionnel pour le public qui ne s'attendait pas à pareille fête.
Il est 23 h passées lorsque Sapho revient une ultime fois avec "Protestante", un nouveau titre qu'elle a mis longtemps à pouvoir écrire. Un douloureux souvenir d'enfance : l'histoire d'une petite marocaine juive qui se prétend protestante pour éviter d'être rejetée… Dans sa loge, devant sa Thermos de thé à la menthe "maison", Sapho se souvient de "cette brûlure terrible d'avoir eu à mentir." Et d'avouer : "La xénophobie et le racisme sont les deux choses au monde les plus partagées. C'est sans fin. Alors que l'autre n'est pas si loin que ça. Heureusement, la musique rassemble : d'un pays à l'autre, le public réagit aux mêmes temps forts."
De la plume à la voix. Avec treize albums et cinq romans dont "Beaucoup de rien" sorti au printemps, Sapho passe allègrement de la plume à la voix. En français, "je tiens beaucoup à cette langue. Ma langue maternelle. J'écris depuis l'âge de 10 ans, surtout de la poésie. Mais cela n'a pas suffi. J'étais tellement explosive que j'avais envie de crier, mais c'est assourdissant. Alors j'ai décidé de chanter pour rester maître de mes textes, de mes musiques." La rockeuse a évolué. "Il y a aujourd'hui une meilleure fluidité entre les divers moi."
Engagée, Sapho ? "Les bons sentiments ne suffisent pas à faire l'artiste qui est cependant forcément engagé dans un langage différent, subversif en soi. Moi, j'ai une histoire particulière qui provoque des élans sans lesquels j'aurai le sentiment de pêcher par non assistance à personne en danger."

Sylvie Bodin