Le voyage de SAPHO au coeur de Marrakech

Sur la grande scène de la Fête de l'Humanité dimanche 17 septembre, à 14 heures, la chanteuse rend hommage à sa ville natale, Marrakech, avec des musiciens gnawi. Des mots et des rythmes guérisseurs pour parler des maux qui font souffrir l'humanité.

Elle chante pour l'Algérie, pour les sans-papiers, pour les Indiens du Chiapas, pour les oubliés de la bande de Gaza... Sapho sur la grande scène de la Fête de l'Humanité, c'est à la fois un événement et quelque chose de profondément naturel. Toujours audacieuse, elle propose d'investir l'immense plateau de La Courneuve avec un spectacle essentiellement acoustique. Car, comme en témoigne son treizième et dernier album Sapho Live, enregistré lors de son concert à l'Auditorium Saint-Germain-des-Prés le 27 novembre 1999, la chanteuse n'a pas besoin d'une débauche de décibels pour faire entendre la densité de son art. Elle puise à des sonorités organiques, qui palpitent comme le sang dans les veines de la vie.

Le concert démarre en douceur, avec guitare et voix. Avec la délicatesse de ces parfums orientaux qui vous entêtent lentement. La vestale attise patiemment les feux de la passion, les accords de guitare étreignant bientôt la flamme flamenca. C'est qu'elle nous emmène voyager sur la carte de son cour : se croisent, sans exclusive, inflexions hispanisantes, percussions envoûtantes (derbouka et cajon), explosions rock, subtiles ballades, irrésistibles pulsations africaines gnawi, héritées d'anciens esclaves originaires d'Afrique sub-saharienne. Française, juive, née au Maroc dans la ville de Marrakech, elle a réfléchi à ce nouveau spectacle dans sa ville natale. Une manière de rendre hommage à une terre et une culture qui l'ont nourrie. " Dans ma maison marrakchie, je faisais, dans le patio, des fêtes gnawi avec les meilleurs musiciens de la ville, explique Sapho. La réaction de plaisir provoquée par la présentation nue des chansons m'a conduite à élaborer ce spectacle. "

Pour la Fête de l'Humanité, elle invite trois musiciens de la confrérie des Gnawa. Cette dernière se distingue par la pratique d'une musique et d'une danse aux vertus thérapeutiques (au Maroc, le Festival gnawa d'Essaouira a organisé, en juin, un colloque sur les ethnothérapies, qui a réuni des spécialistes comme le professeur Tobie Nathan). La tradition gnawi opère une synthèse étonnante entre des influences issues du soufisme, philosophie issue de l'islam, et la richesse rythmique africaine. L'instrument emblématique en est le guembri (ou guenbri), sorte de luth basse qui accompagne le rituel. De leurs claquements véloces, les crotales (grosses castagnettes métalliques) fortifient le rythme, qui peut emporter l'auditeur jusqu'à la transe. Ecoutez le morceau Marrakech du disque Sapho Live. Les artistes ne sont pas nombreux sur scène. Mais, passant allégrement de rythme ternaire en rythme binaire, l'infante du chant et ses compagnons de scène font monter la tension. Et tandis que le galop hypnotique des crotales chauffe les esprits, le public exulte.

On parle de plus en plus des Gnawa et de leur musique. Mais Sapho n'a pas attendu que la mode y mette son grain de show-biz pour honorer la musique de son enfance. En 1987, elle nous en parlait déjà, alors qu'elle venait de se produire avec des Gnawa au Festival de la jeunesse de Marrakech et qu'elle s'apprêtait à les inviter à son Olympia : " C'est un rêve de gosse qui se réalise. J'ai habité à Marrakech jusqu'à l'âge de dix ans, avant de partir vivre à Rabat. Notre distraction préférée de môme, c'était de nous rendre sur la place Djemmaâ El Fna. On y voyait les charmeurs de serpents, les montreurs de singes, les conteurs, les porteurs d'eau, les Gnawa et leurs danses magnifiques. Tout un monde féerique. Quand je rentrais à la maison, je tambourinais sur la table de la cuisine pour essayer de jouer ces rythmes complexes. J'ai commencé comme artiste de rock, mais avec toute cette richesse dans ma mémoire. "

Un an avant l'opus Sapho Live, la pasionaria a publié l'album la Route nue des hirondelles (chez Celluloïd), version " studio " du même versant franco-marocain de la chanteuse. Cette route mystérieuse est celle qu'ont empruntée ses lettres écrites de Marrakech, devenues des chansons, lesquelles, à leur tour, peuvent s'envoler au-delà des frontières. Elle a probablement adressé une missive à son père, l'artisan secret de sa vocation. Elle chante en français, et aussi, comme il le faisait si bien, en arabe. " Papa n'était pas un artiste professionnel. Il chantait pour la famille et les amis, mais avec un sentiment et un sens de l'improvisation que je n'oublierai jamais. Il est hélas décédé à un âge encore jeune et n'a jamais eu l'occasion de m'entendre. Quelque part, lorsque je chante, je le salue. "

Fara C