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Sapho a, en plus de son talent, ce grain de folie indispensable pour interpréter Ferré, ce souffle libertaire qui gronde dans la voix et le geste, fait glisser le rire jusquau sanglot et transforme la colère en douceur énigmatique. Sapho habite la scène comme une lionne sa tanière, comme une folle son asile, comme une magicienne son antre, comme une pythie son temple et ressuscite avec une force incroyable et une passion peu commune les paroles du vieil anar. Accompagnée à la guitare flamenca par Vicente Almaraz, qui signe des arrangements magnifiques, et soutenue aux percussions par Alyss, caressant et frémissant, Sapho libère les chevaux de la mer et offre à la mémoire de Ferré ce que seules lauthenticité et loriginalité peuvent faire naître : une interprétation en forme dhommage à la fois très pieux et très iconoclaste, fidèle à lesprit davantage quà la lettre, comme on lest quand on sait aimer ! De lEspagne doù monte la colère, dOstende doù descend le marasme alcoolique des soirs de débine où lon sen va à deux traîner dans les rues « où y a des vitrines », des trottoirs américains où se répand le sang de Monsieur William, de létranger où lon est chez soi quand chez soi cest lexil et que lexil cest partout, coulent les musiques et les mots de Ferré et ceux des poètes délite qui, de Baudelaire à Caussimon, offrirent à lhomme de Peille loccasion de composer des chansons sublimes. Pour voguer sur ces fleuves-là, il faut un bateau ivre et des navigateurs aguerris. On en a vu bien dautres se frotter à Ferré et échouer lamentablement dans le pastiche inconscient ou limitation niaise. Cest peu dire que Sapho évite ces écueils ! La chanteuse, peut-être à cause du creuset culturel dont elle est le symbole, peut-être à cause dune intelligence instinctuelle de la moelle des textes, peut-être aussi par une empathie faite de distance et de gravité avec les choses humaines, réussit à interpréter Ferré en lévoquant au plus juste, le ressuscitant tout à fait lui-même en le faisant tout à fait sien, et assumant loriginalité de propositions interprétatives qui vibrent pourtant de lécho de sa présence. Sorte de lionne se souvenant du lion, elle rugit et caresse, ploie vers la terre pour mieux rendre hommage aux nuées des poètes et au soleil rouge de la révolte, est le couteau soudain et soudain la plaie. Elle ose tout, sadressant au public avec la même fougue et la même familiarité que celui qui croyait au pain de lamitié, et fait de la scène un creuset cosmopolite où lAndalousie est baignée par la mer du Nord. Accueillant les chansons de Ferré dans la lumière orangée des moucharabiehs et dans lintensité du flamenco, Sapho a confié les arrangements musicaux de son spectacle à Vicente Almaraz qui signe ici avec elle un travail dadaptation musicale dune exceptionnelle qualité. Sur scène à ses côtés, le guitariste espagnol enveloppe davantage encore quil naccompagne la chanteuse et crée avec elle un univers à la fois dense et économe, retenu et sensuel, palpitant et émouvant comme on a rarement la chance den découvrir. Alyss soutient aux percussions cette impeccable prestation et offre à ses deux compagnons la rumeur et le bruissement des révoltes, des déchirements, de la passion et de la joie dont luvre de Ferré, si riche en ses inspirations, est porteuse. Rare, intense, puissant et riche, audacieux et profond, ce spectacle est une authentique merveille. En dire plus serait en dire trop ! Ce chant-là interdit la glose et exige ce quil convoque miraculeusement : la présence. Catherine Robert
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